"10" de Tyaf : trois choses qu'il fallait remarquer dans le texte

Il y a une chose qu'on a comprise après avoir écouté « 10 » de Tyaf : il semble manifestement avoir du mal à tourner définitivement la page Méko Prod. Pourtant, l'eau a coulé sous les ponts. Rien ni personne n'osera cependant dire le contraire : le style que propose Tyaf sur ce morceau est sans doute nouveau. Du moins « nouveau », si on le compare à lui-même. Mais en vérité – et c'est là que le bât blesse – tout n'est pas si nouveau que ça, malheureusement.

1. « Tant de records qu'on ne peut effacer »
Décidément, il semble que ce soit la saison du grand retour des rappeurs au rap. Si certains, comme Keurblaan sur "S.O.H.K", font une virée complète dans le temps pour revisiter les codes du rap d'antan, d'autres restent relativement dans le présent. Un exemple ? Didi B sur "Y’a pas l'argent dedans". La période semble donc propice pour que les chanteurs-rappeurs rappellent leur talent en matière de rap. C'est ce que Tyaf voulait surement faire.

Pour retrouver Tyaf sur un texte rap, il faut remonter dans le temps. Remonter très loin dans le temps. C'est dire que les nombreuses critiques qu'il essuie (essuyait) auraient leur sens. « Tyaf ne fait pas du rap, il fait de la poésie », l'accuse-t-on. D'ailleurs, c'est sur cet élément que se construit le procès tenu dans le clip "10".
Mais dès l'entame de son plaidoyer, Tyaf brandit cet argument : « ça fait déjà six ans qu'un petit rappeur est apparu dans le game […] tant de records qu'on ne peut effacer ». C'est comme s'il disait : « J'ai glané tellement de récompenses lorsque je faisais du rap que je n'ai plus rien à prouver ». Bien sûr, les récompenses peuvent servir de preuves. Cependant, suffisent-elles toujours pour prouver le talent d'un artiste ? Peut-être que oui, peut-être que non. De ce fait, pour Tyaf, il ne suffisait pas de parler de récompenses pour répondre aux critiques, d'autant que le clip vidéo "10" est organisé sous forme d'un procès.

2. « Y'a des rappeurs que j'ai dépassés sans clasher »
Tyaf s'est construit une réputation dans la musique urbaine au Bénin. Cela ne fait aucun doute. Dans combien de clashs a-t-il trempé pour y parvenir ? Très peu, nous sommes même tentés de dire « aucun », si ce ne sont les polémiques qui ont entaché sa carrière. Pour ainsi dire, à l'image de Zeynab, dont nous avions parlé dans l'un de nos articles, Tyaf prouve qu'il est possible d'être connu sans baigner dans les incongrus clashs qui se nouent sur la toile.

Si c'est le propre de la rhétorique des rappeurs de bâtir leur image dans le clash, Tyaf a opté pour une autre démarche : le travail. Mais il existe une contradiction entre son parcours et "10". « Au fil du temps passé, il y en a assez [des rappeurs, NLDR] que j'ai dépassé sans les clasher ». Même si ce vers est vrai, il est faux. En effet, Tyaf sous-entend que pour dépasser, il faut clasher. Or, lui n'a pas clashé pour dépasser. Inattention dans la rédaction du texte ? Recherche d'une rime forcée ? Quoi qu'il en soit, que ça aurait été magnifique de voir de la justesse dans tous les propos tenus dans "10".

3. « Quand tu as compris l'Éternel »
La plus belle rime de "10" est sans doute la suivante : « Quand tu as compris l'Éternel, tu deviens un éternel incompris ». On l'a compris, depuis la fin de l'aventure Méko Prod : Tyaf est devenu un adorateur de l'Éternel. On le sait depuis "Je suis vivant".
Rappelons que "10" est censé servir de réponse aux personnes qui estiment que Tyaf ne fait pas du rap. Autrement dit, cette sonorité marque un nouveau départ, puisque depuis qu'il est signé à Du Vrai Prod, l'artiste n'a proposé aucun morceau rap.

Le titre marque un nouveau départ, disions-nous. Mais alors, pourquoi cette fixation sur sa nouvelle croyance en l'Éternel, quand on sait qu'il le sert depuis "Je suis vivant" ? Tyaf, pour se convaincre lui-même de son nouveau départ, se sent obligé de rappeler qu'il est un serviteur de Dieu chaque fois. C'est moins beau que ça en a l'air. La rime « Quand tu as compris l'Éternel, tu deviens un éternel incompris » est belle, mais est-elle appropriée ?
En dépit des petites contradictions qui semblent se creuser dans "10", celui-ci reste l'un des plus techniques qu'a produit Tyaf jusque-là, et il s'avère une réussite. Qu'on rende les choses de César à César… et les choses de Tyaf à Tyaf !

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