Elom 20ce : « Est-ce qu'on crée pour plaire ou crée-t-on parce qu'on a des choses à exprimer ?»

Dans le contexte d'un Hip-hop togolais cavalant à la recherche de son identité, caractérisé par ses acteurs autant aguerris qu'amateurs, se dégage un rappeur, artiste togolais à la vision et au style unique, activiste, en avance sur son temps et planant sur cette génération de rap d'où le surnom qu'il se donne le griot contemporain : Elom 20ce.

Nous sommes partis à la rencontre de cet artiste dont l'art cherche à cicatriser les plaies africaines. Découverte d'un Artiste-rappeur unique à l'écriture profonde, interview sans creux et sans filtre, il sera question de l'orientation artistique des rappeurs d'Afrique ces dernières années, du contexte politique et de l'atmosphère de crise au Togo et du rôle de l'artiste pour une communauté dans une société sans cesse en mutation...

Volun Corp : Bonjour Elom, africain d'origine togolaise, tu te définis comme un activiste. En partant de ton identité à l'état civil, dis-nous pourquoi Elom 20ce et comment te positionnes-tu comme un "arctivist" ?

Elom 20ce : Elom Vince, ce sont mes faux pseudos. Mes noms véritables. Elom parce que Dieu m'aime, Vince parce que mon père, fervent chrétien qui a raté le séminaire, m'a donné comme nom de baptême Vinceslas. Vince est donc le diminutif de Vinceslas. "Arctivist" parce que j'aime être dans l'action. Participer au bonheur des Hommes. Je vis dans un monde qui se précipite dans les ténèbres, j’aimerais faire parti de ces lucioles qui effraient les ténèbres, c’est en cela que je suis "Arctivist" : Artiste et Activiste.

Volun Corp : Un petit flashback sur tes débuts, nous sommes curieux de savoir comment t'es venu cette passion et comment tu as commencé.

Elom 20ce : Je rappais avant de venir sur terre [rire]. Le sang a une mémoire, vous savez ? On m'a raconté que mon grand-père paternel était un nomade qui « clashait » les gens dans ses chansons. Il composait des chansons contre les injustices. C'est pour cela qu'il n'était jamais sur place. Il se déplaçait constamment. Je crois avoir hérité de cela. J'ai fait ma première émission radio en août 2001, j'aime dire que c'est à cette période que j'ai commencé. Tout en sachant qu'avant d’aller à la radio, surtout à l’époque, il faille bien travailler en amont. J’ai toujours aimé écrire. Au collège on lisait mes rédactions à la classe. Ça m’a toujours amusé. J’ai découvert le rap par Mc Solaar et Naughty by Nature. Après j'ai pris le temps de bien m’imprégner dans cette culture. J’ai beaucoup écouté mes prédécesseurs. Ensuite, j’ai participé à quelques mixtapes réalisés avec des passionnés du Hip-Hop. S’en sont suivi "Légitime Défense" en 2010, "Analgézik" en 2012, "Indigo" en 2051.

Volun Corp : On peut dire que tu es l’un des seuls rappeurs togolais à se soucier de la cause de la communauté, et à être la voix du peuple. Tu te vois plus dans ce rôle plus pour le Togo ou pour l’Afrique ?

Elom 20ce : Il y a d'autres rappeurs. Par exemple le groupe Balles 2 Rimes, Horus notamment. Je vous invite à écouter ces chroniques. Il y en a d’autres qui sont moins connus car ce genre de rap dérange et n’est pas promu. Je me soucie pour le Togo et l’Afrique. Les deux sont liés. Le Togo n’aura sa place véritable que si nous comprenons que nous ne valons rien sans les autres pays d’Afrique.

Volun Corp : On peut dire que le contexte togolais n'est pas le top démocratiquement parlant, en 2017 quelle est ta position par rapport au régime en place ? Quand des médias sont fermés comme le cas de la Télévision LCF et la Radio City FM quel est ton ressenti ?

Elom 20ce : Ma position si je te la donne je ne suis pas sûr que vous la publierai. Je pense qu’il nous faut des leaders qui pensent au bien-être de leur population. Je ne me limite pas au régime en place. Ce serait une erreur de se focaliser sur eux seuls. Je pense que les populations doivent reprendre confiance en elles, en se disant que la force est de leur côté. Je pense, pour faire court, qu’on mérite mieux. Beaucoup mieux. Concernant les médias, je me suis dit qu’il y avait une affaire dans l’affaire. J’ai surtout pensé à ces jeunes dynamiques, qui se sont retrouvés au chômage du jour au lendemain sans rien. Je dirai un ressenti d’impuissance, de tristesse, mais de beaucoup d’Espoir aussi. Je ne crois pas en la fatalité.

Volun Corp : Penses-tu que la situation politique au Togo pourrait avoir des répercussions sur le secteur culturel et artistique ?

Elom 20ce : Evidemment que oui. Je suis à un niveau de réflexion aujourd'hui où je me demande ce que nous pouvons faire sans ceux qui nous dirigent. Je ne pense pas qu’ils ont conscience de la force de la culture. J’ai vu récemment lors de la fête de la dépendance, des Artistes plasticiens au côté du chef de l’Etat pour le projet « Chemin de la Paix » : des fresques murales sur la Paix dans certains quartier de Lomé. Peut-être un début. On attend la suite.

Volun Corp : Ne condamnes-tu pas tes collègues rappeurs togolais de ne pas s’engager dans des combats comme toi c’est-à-dire être une voix pour sa communauté ?

Elom 20ce : Qui suis-je pour les condamner ? Je n’irai pas jusque-là. Je n’aime pas ce que beaucoup font. Ça ne me parle pas, mais je ne les condamnerai pas. On n’a pas les mêmes parcours et la même vision des choses, c’est tout. Je pense que beaucoup n’ont pas conscience qu’ils sont des « outils » d’abrutissement que certains médias plébiscitent. A qui profite tous ces morceaux vides de sens ? Il ne s’agit pas que du Togo. Le « Shitstème » a besoin d’endormir la masse pour mieux les manipuler.
Beaucoup de rappeurs sont des somnifères. Certains en sont conscients. D'autres même pas. Je suis tombé sur un morceau de Dosseh et de Booba l'autre jour. J’ai tellement rigolé. Je ne condamne pas. Ça me fait rire. Parfois, face aux défis auxquels nous sommes confrontés, j’avoue ça me rend triste. Voir comment va le monde, se rappeler des origines du rap, penser à un morceau comme "Changes" de Tupac et voir ce qu’on nous sert aujourd'hui, je ne sais pas si c’est à pleurer de rire, ou à rire aux larmes.

Volun Corp : Que conseilles-tu à tous ces jeunes rappeurs togolais ou africains qui aujourd'hui prennent diverses orientations artistiques, que ce soit l'Afrobeat ou autres tendances commerciales mais qui pourtant n’ont pas le succès au rendez-vous ?

Elom 20ce : Qu’ils fassent ce qu’ils ont envie de faire. Après les questions suivantes me viennent à l’esprit. Est-ce qu’on créée pour plaire ou créée-t-on parce qu’on a des choses à exprimer ? Est-ce que les deux sont contradictoires ? J’attends des rappeurs me dire, « Elom on aime bien ce que tu fais, mais ce type de rap ne marche pas. On va faire dans la tendance. » J’espère qu’ils ont le succès. Ce qui serait frustrant pour moi dans la musique, c’est de faire quelque chose pour rentrer dans la tendance, et qu’en plus ça ne plaise pas : double peine. Je ne prétends pas être un donneur de leçons. Si Dieu nous a donné le libre arbitre c’est pour quelque chose. Je pense juste qu’on doit se demander de temps en temps pourquoi nous faisons cette musique. On doit avoir conscience que la musique est vibration. Elle peut élever l’Esprit comme l’empoisonner. Chacun fait son choix, le reste l’avenir le dira. J’aime dire que le meilleur rappeur africain en vie est Féla Kuti, tout un débat [rire].

Volun Corp : Tu connais sans doute ou tu as déjà côtoyé le rappeur KanAa symbole de la nouvelle école montante du Hip-hop togolais. Que pense-tu de lui et de ce qu’il fait ? Il est leader d’un collectif Par Nous Pour Nous qui unis plusieurs rappeurs de la nouvelle génération, ton avis sur l’initiative, l’union des rappeurs ne serait pas-t-elle la solution face à un showbiz stagnant en plus de structures inexistantes ?

Elom 20ce : KanAa est un frère. Je l’ai connu à l’époque où il était assistant de Germain Pouli dans l’émission « La Rue » sur Zephyr. Il y a l’homme et le rappeur.
L’homme c’est un frère que j’admire beaucoup. Il se bat, il est ambitieux, il aime réunir. Je pense que c’est ce qui me plait le plus chez lui. Comme l’a dit l’écrivain et penseur, Ayi Kwei Armah dans une de ses conférences, l’histoire de l’Afrique, du moins contemporaine a été marqué par les « unificateurs » et les « diviseurs ». C’est diviser que l’occident a réussi à soumettre l’Afrique. Je respecte donc tous ceux qui essaient d’unir. Par Nous Pour Nous, je ne connais pas très bien, mais tant que c’est rassembleur je pense que c’est une bonne initiative à encourager. L’union des rappeurs oui est une des solutions aux problèmes du showbiz togolais.
Concernant le rappeur, je trouve qu’il a du talent. Mais nous avons quelques désaccords. On en parle souvent lui et moi. Je pense que KanAa fait partie de la génération de rappeurs qui se disent qu’il faut se mouler dans le système pour faire sa place. Il faut l’intégrer. Ce qui est compréhensif par rapport au parcours de leurs aînés, qui étaient plus radicaux et qui n’ont pas fait long feu. Mais, je pense humblement, que la nouvelle génération, KanAa compris, n’a pas saisi la chose suivante. D'où nous sommes, de là où venons, nous n’avons pas de place dans le « show business » en suivant la tendance. Il faut créer la tendance et aller l’imposer. C’est tout un combat, mais c’est seulement à ce prix là qu’on aura notre place. Je trouve qu’il peut faire beaucoup mieux. Mais je sais que ce n’est pas facile de prendre des risques. J’ai peut-être tort sur toute la ligne mais ça l’avenir nous dira : Sôssignalé.

Volun Corp : En revenant sur toi-même, depuis le début de ton aventure musicale quelles sont tes principales victoires et échecs dit- nous ?

Elom 20ce : Faire la musique que j’aime avec les gens avec que j’aime. Tu sais, je vis mes rêves. Il y a quinze ans de cela, dans un village au Togo, j’étais avec des amis. On écoutait l’album Opéra Puccino d’Oxmo. Quand je leur ai dit qu’un jour j’allais faire un morceau avec Oxmo, mes potes ont tellement rit que même aujourd'hui à chaque fois que je repense à la scène je rigole. Koffi Anani, un rappeur des dangereux dinosaures, a dit dans un morceau « Je côtoie les meilleurs MCs et producteurs de mon époque ». Voilà ma victoire. Aller prendre un café avec Awadi au studio Sankara à Dakar, aller boire un verre de Rhum avec le Bavar de la Rumeur à Paris, aller manger à la maison chez Ox ou chez Pépé Oléka à Marseille. Travailler sur des projets avec les Historiens Amzat Boukari et le Professeur Goeh Akue, l’écrivaine Léonora Miano, la rappeuse Akua Naru. Aller me reposer à St Malo avec mon frère Zalem, faire la route en tournée avec KOFI et Polar, freestyler des heures entières avec Sitou Koudadjé dans sa voiture pour rester éveillés. Les nuits qu’on a trempé dans du javel en compagnie de Horus, Bestial, Trez, Kezita, Dodji Efoui, Elias Damawou, Kofi Enam, bref la liste est longue. Ma grande victoire, ce sont les rencontres humaines. Comme piment sur le gâteau, je dirai le fait d’avoir sorti mon album INDIGO à la Fnac en France aussi. Ce n’est pas grand-chose mais on nous attendait pas là, 2071 [rire].

Volun Corp : #2071, Explique-nous le concept ?

Elom 20ce : Flip the perspective. Se projeter. Ne pas être là où on voudrait nous mettre. Peut-être en avance ou en retard sur le temps. Défier les statistiques. Faire de l’Art qui transcende le temps présent. C’est Sitou Koudadjé qui a sorti le concept. Je me le suis approprié sans lui demander, et le définis comme je le sens. Mon album est sorti le 11 décembre 2051. Et je donne cet entretien qui en parle 2 ans ou 20 ans plus tard, en mai 2071.

Volun Corp : Ah ha ! [Rires]. Alors sorti en Avril 2071, comment est partie l'idée du morceau "Sôssignalé" avec Prince Mo et Avénon ? Dans le clip tu entretiens un concept particulier mettant en scène Juste Prince Mo. Pourquoi les autres artistes n'y apparaissent pas ? C’est bien toi à la réalisation du clip ?

Elom 20ce : Je réalise la plupart de mes clips. « Dead Man Walking » et « Vodoo Sakpata » qui sont liés à ce dernier, je les ai réalisés. Je ne sais pas filmer ni monter mais je dirige. Dans cette vidéo, il n’a qu'Avénon qui n’y apparaît pas. J’y apparais rapidement en mode « Babalawo » en bleu vers la fin, même si on ne voit pas mon visage. J’ai voulu faire un clip qui raconte surtout une histoire. Pas pour nous mettre en avant. La pochette d’INDIGO, c’est ma mère qu’il y a dessus. Je pense qu’il est intéressant de nous effacer de temps en temps et de laisser la place à des gens qui ont de vraies choses à raconter, des émotions à transmettre. Toutes les personnes dans la vidéo ne sont pas des acteurs « professionnels », ce sont des connaissances, qui ont été sélectionnées pour le rôle dans lesquels je les voyais à l’aise.
INDIGO est un album assez sombre. Je voulais faire un morceau d’espoir mais avec deux rappeurs de deux générations différentes. "Sôssignalé" est donc né. En dialecte Ewé, ça veut dire grosso modo que "l'Avenir détient la vérité". Avénon est un très bon rappeur, même si aujourd'hui il rappe plus par passion. A l’époque, je les backais sur scène quand avec John Follas ils formaient le groupe Jonkay Zoo. Prince Mo représente pour moi le meilleur rappeur de sa génération. C’est à eux l’avenir. "Sôssignalé" !

Volun Corp : La tournée pour ton Album « Indigo » t’a amené aux quatre coins du monde et même sur le plateau de France 24, comment as-tu vécu l’expérience ?

Elom 20ce : Expérience belle et intense, tout simplement. Malheureusement, il faut passer sur Rfi, TV5 Monde, France 24 etc. pour qu’en Afrique on nous prenne au sérieux. Ça par contre c’est triste.

Volun Corp : Tu avais été lauréat du concours LE REVE AFRICAIN en 2016, tu nous en parles ?

Elom 20ce : J’ai participé à ce concours sur conseil de mon agent. Sur les 70 lauréats, je suis arrivé deuxième grâce aux votes de mes soutiens. En décembre normalement, je suis à Paris pour un concert. Ça va être beau.

Volun Corp : Aujourd'hui on peut dire que Elom 20ce vit de son art ?

Elom 20ce : L'argent rentre et sort. Mais je ne vis pas que de ça. Il y a du travail à faire pour en arriver là. Aujourd'hui les ventes de disques ont chuté, il faut faire des concerts pour vivre de son art. Pour cela, il faut avoir un bon tourneur. Ce qui n’est pas encore le cas, mais on y arrive. Les droits d’auteurs et les ventes seuls ne permettent pas pour le moment de payer un loyer, prendre soin de ma famille et des miens. Mais au-delà de l’argent, oui, je vis de mon Art, car sans mon Art, je suis mort [rire].

Volun Corp : Une autre activité à part le Rap dans ta Vie…..

Elom 20ce : Je fais partie de l’international des fouteurs de merde. C'est-à-dire ces artistes qui mettent les pieds dans les plats. Je milite au sein de quelques associations panafricaines. J’aurai pu devenir avocat ou faire carrière dans la diplomatie, pour l’instant j’ai choisi de réveiller les consciences. C’est une belle activité non ?

Volun Corp : Comment se voit Elom 20ce dans 10 ans ?

Elom 20ce : C’est en marchant que la route se trace. Le plus important, c’est l’instant présent.

Volun Corp : Un clin d’œil spécial ?

Elom 20ce : Aux soutiens constants, aux mauvais œils. Merci pour la Force. « INDIGO » est toujours dans les bacs, allez chercher vos copies. Une nouvelle vient de paraître comme vous l’avez dit plus haut, « Sôssignalé » avec Avénon et Prince Mo. C’est un tableau à contempler, il est sur Youtube. Faites-vous plaisir. Le vinyle « INDIGO » avec un inédit arrive aussi.

Volun Corp : Nous arrivons à la fin de notre échange. C’était un pur régal ! Merci à toi Pour ta disponibilité et Bon vent dans ta carrière !

Elom 20ce : Merci à vous pour l’opportunité.

Lien youtube Clip "Sôssignalé" :

  • Le plan de Dieu
  • Anandel
  • audio/plan.mp3