Ishaq nous parle de son nouvel album à travers cette interview

Il appartient à cette génération de pionnier qui ont marqué leur époque de leurs paroles et leurs styles. Aujourd'hui le mouvement rap évolue et il fait en sorte d'évoluer avec. Au moment où il dévoile la sortie de son nouvel album, VolunCorp a voulu revenir sur sa carrière et ses perspectives d'avenir.

Découvrons donc le rappeur Ishaq

VolunCorp : Cinq lettres, cinq prières dîtes-vous souvent pour tenter de vous présenter. Mais au-delà, c'est qui Ishaq et pourquoi Ishaq ?

Ishaq : Laurent Issaka TCHABOUE est un enfant de la révolution, un pur produit du drapeau béninois arrosé par des humanitudes diverses. Né à Akaradè en 1977, à deux (02) km de la frontière togolaise d'où vient d'ailleurs ma mère. J'ai fait le Primaire à Cotonou (Tokplégbé) puis le Prytanée Militaire de Bembèrèkè où je suis entré en 1987 avec la septième promotion avant de revenir au CSP à Cotonou et faire mon Bac en 1996 au CEG Jean Mermoz.
La suite c’est 6 ans à étudier l’Economie, la Sociologie, la Vie, le Monde, la Musique, l’Amour, l’Homme et beaucoup d’autres choses en France. A mon retour en 2002 j’ai embrayé à Golfe FM puis dans diverses expériences professionnelles et artistiques.
Le nom ISHAQ est venu d’une interaction avec des désincarnés un après midi de 1996. Auparavant on me connaissait sous Synthétic MC ! Une lubie d’ado à l’époque. Puis j’ai éprouvé le besoin de me redéfinir. J’ai cherché, j’ai demandé et ISHAQ est venu. Un nom n’est jamais un hasard. C’est celui là que j’ai choisi ou qui m’a choisi.

VolunCorp : D'où vous est venu ce besoin de publier votre nouvel album, alors qu’il semble que votre génération a tourné sa page dans le rap ?

Ishaq : Tourner sa page, c’est vite dit je crois. Le rap est parti pour durer encore quelques bonnes décennies. Il y aura des hauts et des bas mais ça vivra encore longtemps. Parce que c’est une musique sincère qui a trouvé sa génération.
C’est vrai je fais partie de la première promotion de rappeurs au Bénin. Ce qui me classe parmi les anciens. J’ai fais mes premières maquettes en studio 4 pistes autour de 1995. Beaucoup d’autres occupations m’ont empêché de produire avec constance des albums, mais j’ai une vision personnelle de ce que c’est qu’être artiste. C’est être soi. Et le bon moment c’est le bon moment. Alors ISHAQ n’a pas à être un Solaar BIS ou un reflet de qui que ce soit.
Je suis moi. Et les autres sont eux. Je fais du rap pour des raisons qui n’engagent que moi. Je rapperai jusqu’à mon dernier jour. Et d’ici là j’ai une sainte horreur qu’on m’évalue sur des critères trop généralistes, flous ou ambigus. On ne nage pas tous dans les mêmes marigots. Je n’ai vu nulle part un manuel du rappeur béninois ou une bible qui dit qu’être artiste c’est être comme ceci ou comme cela. Quant à moi, je suis ISHAQ.

J’ai sorti ce deuxième album comme un devoir que j’avais envers mon art. Et le troisième et le 4ème album sont déjà entrain de pousser le col de mon utérus de créateur. Je compte rendre au Rap ce qu’il m’a donné et lui réclamer ce qu’il m’a pris. Je n’ai encore rien fait dans le RAP. Je le jure.

VolunCorp : Vous insistez donc, pour résister ou pour exister ?

Ishaq : Est-ce que j’insiste ? Par définition peut-être, par essence. J’insiste sur ce que je suis et ce que j’ai choisi d’être. Un Artiste, un Rappeur, un Créateur, un Agitateur d’Idées. Je ne résiste pas. Je suis partisan de laisser courir les choses, étant convaincu qu’à la fin de la journée chaque chose revient à sa place. Ça coûte de la patience ou des efforts mais à la fin c’est la même chose. Et bien sûr j’insiste sur ce que je suis pour exister au sens propre, au sens figuré et dans tous les sens du terme.

VolunCorp : Chose curieuse, votre logique de diffusion de votre album. Vous n’optez pas pour les plateformes de téléchargement, mais plutôt pour les réseaux sociaux, et les canaux de streaming. L’avenir de nos musiques urbaines béninoises est donc là pour vous ?

Ishaq : Dans un sens OUI. L’avenir de la musique a pris une autre direction depuis que le téléchargement est né. Et tous les versants de cet univers numérique comptent. Je n’ai pas encore discuté avec des plateformes de téléchargement fiables pour établir un partenariat dans la durée. C’est pour cette raison que je me suis penché sur des modes de diffusion que je possédais par ailleurs.
Mais dans le fond tout reste à faire. Autant à mon niveau que dans la globalité de la machine show-bizness au Bénin. C’est une question globale à laquelle nous tentons des réponses individuelles et parcellaires. Mais sous d’autres cieux aussi il a fallu passer par ces erreurs et approximations. Mais on y viendra.
La musique ne peut plus être vécue et diffusée comme il y a 20 ans. Le téléphone est devenu un terminal opérant qui orientera encore pendant un moment les méthodes et les pratiques des produits culturels audionumériques. C’est une évidence.

VolunCorp : Cette phrase est devenue un leitmotiv symbolique depuis peu dans le rap mondial. D'après votre parcours, attestez-vous que : le rap était mieux avant ?

Ishaq : LOL … MDR … Je suis nostalgique comme tous les êtres humains mais le rap est mieux aujourd’hui ! Et encore heureux sinon cela voudrait dire qu’on recule. Les sons sont plus riches, plus maitrisés. C’est le fruit de 20 ans d’expérience. Les jeunes d’aujourd’hui ont accès à beaucoup plus de données pour se construire une vibe dans le rap. J’écoute encore I Got The Power ou California Love mais je kiffe tout autant Maître Gims, Booba, Mac Tyer ou MHD !
Bien entendu le Rap a perdu en fond ce qu’il a gagné en forme. Mais c’est dans l’ordre des choses. Les acuités et les égarements de chaque époque façonnent les individus qui à leur tour influencent la société. Qui elle même réagit en redonnant une image de ce que c’est qu’être quelqu’un. Et ainsi de suite la boucle du temps se déroule.
Quand j’avais 18 ans je n’avais pas de Smartphones ou d’internet. J’étais moins distrait et mieux absorbé par des lectures ou des quêtes de sens dans mes attractions naturelles. Aujourd'hui je patauge dans les futilités quotidiennes que déverse le net et je ne m’en plains pas, parce que je me suis construis une boussole intérieure qui me ramène à mes essentiels. Dans ce contexte le Rap est le miroir de son époque et vit aussi comme tout le reste. Rien n’est figé ou absolument statique. On s’adapte.
"Le rap c'était mieux avant" c’est un truc de perdant ou de gars aigri. Ce n’est pas mon cas. Je renais chaque jour et demain me fait toujours plus bander qu’hier !

VolunCorp : N’Écoutez-vous que du rap ? Quelles sont vos autres influences ?

Ishaq : J’écoute de tout. Sauf du hard deathmetal ou des musiques régressives du genre … Sinon j’écoute Amikpon, Sagbohan, Mozart, Debussy, Lil Wayne, Daft Punk, Cabrel, Sade, Stromae, Toofan, Arafat Dj, et tout ce qui me tombe sous la main. D'abord par curiosité, ensuite selon mes humeurs et enfin selon mes objectifs du moment. La techno africaine qu’est le coupé décalé donne du punch et les gospels ou l’opéra favorise la relaxation et la méditation.
Mais en gros j’écoute plus de Rap qu’autre chose … Très peu de béninois j’avoue mais du rap français et US.

VolunCorp : C’est quoi pour vous avoir du talent de rappeur ?

Ishaq : C’est avoir du style ! Ne pas être une vulgaire copie. C’est avoir digéré tous les styles qu’on a croisé pour chier sa propre matière. C’est refléter la vie intrinsèque du RAP. Une quête … Une vibration … Une audace lyricale … Une identité textuelle … Un rythme dans le flow. Il y en a pas mal des rappeurs talentueux. Mais le destin choisit qui poursuivra sur cette route, qui marquera.

VolunCorp : Pour les jeunes générations, faisons un feedback. Définissez nous chaque titre de votre album selon la vision que vous lui accordiez ?

Ishaq :

  1. Une histoire

  2. En intro à ce 2ème album j’ai choisi un quasi slam faussement naïf pour repartir de la base. Des choses simples qui définissent l’HOMME dans ses petitesses, son imperfection, son insatisfaction, ses humanitudes, sa finitude … C’est l’histoire d’une fourmi qui rêve de défier les lions, C’est l’histoire d’un éléphant qui rêve de voler comme un oiseau … Etc.

  3. Optimystiques Punchlines

  4. Ce titre est une contribution à l’universalité dans la fratrie humaine. On est tous la même chose … au sens de « nous sommes tous des hommes » et au sens de « nous sommes un morceau de DIEU, un morceau de cette CHOSE que nous formons tous ensemble ». C’est une thématique récurrente dans certaines écoles d’éducation spirituelle où on répète à l’infini qu’il n’y a qu’un DIEU et que toutes les religions, les 3 monothéistes majeures JUDAISME CHRISTIANNISME ISLAM en premier, ne sont que des pages d’un même livre. DIEU est 1, L’HOMME est 1. TOUT est 1. Texte optimiste et mystique.

  5. Awabilélé

  6. Un titre de danse. Ambiance facile et décontractée où je donne quelques occasions de goûter à mon HIP HOP DELUXE. ISHAQ Général du Rapgame … Docteur en Rapologie, Gromologie, Rimologie évite les Tautologies … C’est du festif sans prétention. Le mot AWABILELE est une inspiration venue des terres IBO du Nigéria même s’il a subit un souffle YORUBA.

  7. Crie

  8. Un mea culpa. Etant donné que nous avons souvent du mal à exprimer certains sentiments forts en l’occurrence l’AMOUR. Alors Crie Dis à ton gosse que tu l’aimes, Crie … Dis à ta femme que tu l’aimes, Crie … Dis à ta mère que tu l’aimes, Crie … Dis à ton père que tu l’aimes. Le versant féminin est donné ici par Sista Kash une rappeuse d’élite s’il en est.

  9. Showbizness (remix)

  10. Même texte qu’il y a 12 ans plus un couplet frais. Il était question de remettre au goût du jour une vibration que je ressentais depuis le début. Pourquoi tu fais du rap ? Pourquoi tu te confrontes à un univers, le SHOWBIZNESS, dont les codes et les valeurs te sont pour le moins contre nature ? La réponse banalisée en ce titre toujours en collaboration avec Kash … Showbizness ou pas, Moi je sais à quoi m’en tenir, Un style fumigène, Des rimes lacrymogènes, Un phrasé pathogène, Un lexique hallucinogène …

  11. Fidélité au mic

  12. Véritable serment rapologique. Le micro étant l’emblème de notre art du verbe … Mon honneur s’appelle FIDELITE AU MIC, Mon engagement s’appelle FIDELITE AU MIC, Mon destin s’appelle FIDELITE AU MIC, Alpha Charly Alpha DEMY pour les Yankees … Cf code de transmission pour rappeler academy N dimension !

  13. C’est du vécu

  14. Dans un climat DANCEHALL je redonne mes raisons de servir le RAP, le HIP HOP en précisant mon vécu … I.S.H.A.Q mes rimes c’est du vécu … Je rappe comme on s’engage au front, comme on s’engage en légion, Pas d’issue de secours donc un maximum d’attention, L’intention compte comme la volition, Condition sine qua none rapper avec conviction …

  15. Quintessenciel

  16. Texte philosophique s’il en est, écrit à 4 mains avec une amie française prof de français comme par hasard. Ce titre part d’un mot inventé pour condensé la quintessence et l’essence ! … Accoudé au balcon de la vie, Amusé par cette gymnastique de l’esprit …

  17. Braqueur 2 Cœurs

  18. Je braque des cœurs avec mes œuvres comme d’autres braquent des banques. Avec cet hymne à l’amour je veux forcer les grilles des cœurs. Texte coécrit avec un jeune béninois du nom de plume de Arthur. En feat avec Mav Dany pour le côté crooner dans le refrain … Demoiselle dans l’allégresse, un braqueur dans la détresse, viens déposer son adresse, un appel à la tendresse, Quand nos esprits esseulés, se mêlent et s’entre voilent, c’est une fée déshabillée qui s’accroche aux étoiles …

  19. Tassaba

  20. J’aurais pu le titré Dansons, Amusons nous ! Juste une envie de voir des corps s’exprimer … Tassaba

  21. Séliyé

  22. Une histoire de cœur, encore une. Une lettre d’amour en feat avec FALLYSSA … Tu es ma muse à moi, ma muse à moi qui m’amuse, Tu es mon Nil à moi, mon Nil à moi qui coule …

  23. Vol 002

  24. Un titre qui fait le lien avec Vol 001 contenu sur le « ISHAQ 001 L’ARTISTE ». On continue de survoler de rêves et des histoires d’avenir africain … Comme le disait un survivant rwandais, Nous sommes la dernière génération d’Africains à souffrir sur cette terre … En tout cas osons le croire …


VolunCorp : Qu’est ce qui est plus important pour vous ? Les lyrics ou la musique ?

Ishaq : Franchement les deux ! Une mauvaise musique ne sert pas un bon texte et l’inverse est tout aussi vrai. Le bon mot sur le bon son c’est la quête philosophale de tout artiste musicien ! On y travaille chaque jour que DIEU fait.

VolunCorp : Votre nouveau clip, autant que le logo de votre label en construction « ARMADA HIP HOP », font toujours référence aux rapports entre toutes les religions, comme si pour vous, croire ne dépend pas du culte. Quelle signification portez-vous à cette liaison visiblement syncrétiste ?

Ishaq : Comme je l’ai déjà dit : DIEU est 1. L’HOMME est 1. TOUT est 1. Ce sont nos limites humaines qui nous font penser le contraire. Nous sommes tous reliés sur la terre. Le meilleur et le pire parmi les hommes sont reliés pour faire ce 1. Tout ce qui est et qui sera a toujours été. Maintenant selon nos éducations et nos degrés d’éveil, nous accédons à ces évidences ou pas. Comme disait un de mes aînés, il y a les JEUNES ÂMES et les VIEILLES ÂMES. Ca n’a rien à voir avec l’âge.

Le symbole dont tu parles est le symbole d’une école d’éducation spirituelle qui m’a refondé. Pour eux la TORAH, la BIBLE et le CORAN ne sont que des pages d’un même livre. Selon eux nul homme n’ira en enfer ! Dieu nous aime trop pour nous punir de nos imperfections d’êtres humains. Ce sont les lois de sa CREATION qui s’en chargeront et nous nous punirons tout seul jusqu’à accéder à l’illumination. Selon eux, et désormais selon moi, ce sont les inévitables égarements de l’histoire humaine qui nous ont conduit à séparer les religions. La quête de pouvoir, l’orgueil et la vanité humaine nous ont fourvoyé dans des séparations qui n’ont aucun sens pour l’Absolu. Nous sommes tous des morceaux de cette même chose qu’est DIEU. Nous nous sommes individualisés pour vivre une expérience. Mais tant qu’il en restera un morceau, c’est à dire un homme, qui n’a pas fini son parcours pour revenir en DIEU, eh bien ce DIEU ne sera toujours pas complet et nous attendrons. D’où ces sages et illuminés qui tiennent la main des pauvres, des égarés, des jeunes âmes pour les mener sur la route. Parce que le destin de tous les hommes nous concernent à un point que nous ne soupçonnons pas. Sauf si nous y avons été sensibilisés.Chaque douleur infligée à un homme doit ressortir quelque part. De même que chaque bienveillance.
Moïse, Jésus, Mahomet et les autres n’ont fait que professer ce 1. A leur époque, dans leur contexte, selon leur mission. Le culte ou l’obédience religieuse ne définissent pas notre foi et notre rapport transversal à DIEU. Ces choses ne font qu’encadrer ce qui ne peut l’être, notre caractère divin que nous devons redécouvrir sous la chair et manifester.
La vision syncrétiste est une incontournable pierre angulaire de la compréhension de l’essence, du sens, du but et de la portée de nos existences et de notre lien avec CELUI QUI A FAIT SON MONDE ET QUI SAIT POURQUOI. Aucune prière n’est vaine. Aucun culte n’est vain. Aucune lumière n’est trop petite pour l’Absolu.Mais en 2016, avec tous les extrémistes de tous bords et les futilités qui nous consument, ce débat est difficile à tenir. D’où la réserve et la discrétion de ces aînés qui savent parce qu’ils ont reçu cette grâce là. Encore une fois DIEU est 1 et nous aime comme lui-même, parce que nous sommes des morceaux de LUI. Il prêtera oreille à chacun de nous chaque fois qu’on s’adressera à lui peu importe la manière.

VolunCorp : Qu’évoquent chez vous les couleurs : bleue blanc et rouge ?

Ishaq : Dans l’absolu, et dans les limites de mon ignorance, Bleu = Femelle, Douceur, Apaisement, Blanc = l’Esprit 1 qui contient toutes les autres couleurs … comme le Noir d’ailleurs qui n’en contient aucune et donc est potentiellement neutre, Rouge = Mâle, Tension, Sang. Maintenant pour le béninois que je suis, BLEU BLANC ROUGE comme drapeau = France = le dominateur, le colon = Sentiments mêlés de grandeur, de perversité et de traîtrise = Impossible confiance entre deux univers en conflit.

VolunCorp : A quoi ressemble l’Afrique que vous percevez d’ici dix ans ou vingt ans ?

Ishaq : Elle sera ce que nous en ferons ! Meilleure ou pire … la balle est dans notre camp. Il y a toujours un prix à payer pour chaque chose. Quelle Afrique de 2036 voulons nous ? Que sommes nous prêts à faire ou ne pas faire pour cela ? La réponse est entre nos mains.

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